I. La vie de l’homme de la naissance au tombeau

La naissance.

On n’a pas à signaler d’usages originaux concernant les pronostics sur le sexe, l’influence de la lune ou les rites d’interdictions notamment la croyance concernant les « envies ». On dit toutefois que l’on ne doit pas laisser entrer le berceau dans la chambre de la future maman avant la naissance ; elle accouche presque toujours à la maison assistée de la sage-femme ou du médecin. Au baptême, le fils reçoit en général le nom du père, la fille ainée assez souvent celui de la mère. Au XIXe siècle l’usage des prénoms tirés de l’Ancien Testament est fort en vogue. On attend en général les relevailles de la mère pour aller sur les fonds baptismaux, les parrains et marraines sont choisis d’abord parmi les proches parents, quelquefois parmi les familiers de la maison, les grands-parents sont souvent les premiers à se voir offrir les honneurs du parrainage et dans les familles nombreuses les ainés sont fréquemment parrains et marraines des derniers venus. Ceux-ci ne jouissent d’aucune prérogative pour le choix des prénoms. Les cérémonies ont lieu dans l’église du Bourg et non à Saint-Pancrace qui n’avait pas de fonds baptismaux. Il n’est pas d’usage de sonner la cloche pour prévenir de l’entrée d’une âme nouvelle dans la communauté des chrétiens et il ne faut surtout pas embrasser l’enfant qui n’a pas encore reçu le sacrement, il est encore impur et porte en lui l’esprit malin. Il ne faut pas tailler les ongles de l’enfant si l’on veut en faire un honnête homme (allez savoir pourquoi ?).
La coutume provençale des présents a l’accouchée n’a pas pénétré dans le gapençais, on ne lui remet donc ni le pain, ni le sel, ni l’allumette. De même la coutume des « relevailles » a disparu avec la création des Maternités.

L’enfance et l’adolescence.

Au XIXe siècle et pratiquement jusqu’à la guerre de 1914, le garçon porte les cheveux longs, est habillé de vêtements de filles jusqu’à l’âge de quatre ans environ. Bien entendu il ne va pas à l’école.
L’enfance est marquée par le grand évènement de la première communion. On la célèbre au chef lieu, dans l’église paroissiale ornée pour la circonstance, intérieurement de guirlandes et à l’extérieur d’une double rangée de branches ou de jeunes pins. Au début du XXe siècle, la procession des communiants, garçons et filles, se formait encore à l’extrémité du village ; le clergé venait chercher le cortège, le conduisait avec quelques pompes jusqu’à l’église où les filles occupaient les bans côté Épître, et les garçons côté Évangile. Cette première communion était prétexte à des réunions familiales, les premiers communiants rendaient visite aux amis de leur famille et aux proches voisins qui leur remettaient un petit souvenir.

Les jeux d’enfants sont ceux qui existent un peu partout : les billes, saute-mouton, cache-cache que l’on appelle « prendre le ca », la marelle, le saut à la corde, la balle. Mais qui donc parmi nos jeunes sait encore faire un « grioure » ? On perce de part et d’autre une noix, on la vide pour ne conserver que la coquille dans laquelle on fait deux trous latéraux. On taille ensuite dans une branche un petit épieu gros comme un manche de porte plume, on lui fait traverser la coquille et l’on fiche une pomme de terre à son extrémité. Par les trous latéraux on passe une ficelle destinée à s’entourer autour de la tige de bois et en tirant les extrémités, on imprime à celle-ci un vif mouvement de rotation, la noix joue le rôle d’une caisse de résonnance et l’on a ainsi un petit instrument de musique… malheureusement très fragile.

La jeunesse aime danser, sa danse favorite est le «rigaudon, mouvement en deux temps bref, écrit le Baron de LADOUCETTE, dans son ouvrage sur les Hautes-Alpes, composé de seize mesures dont les huit premières sont une promenade générale en rond, cadencée et par couple se tenant par les mains ; les huit mesures suivantes sont deux balancés successifs, l’un avec sa danseuse, l’autre avec la danseuse de son voisin de droite, le nombre des danseurs n’est pas limité ». La danse se faisait au son d’un violon manié par un ménétrier de village, le dernier fut peut-être bien, à la Bâtie-Neuve, Aimé AUBIN du hameau des Brès.
Veut-on en venir aux jeux de l’adolescence et de l’âge mûr. On trouve ici comme ailleurs le jeu de cartes : le piquet, la manille, l’écarté, le cinq-cents. Ils ont été détrônés par la belote qui a pris la première place.

Dès que le temps le permet l’on joue aux boules. Les boules de bois (de buis ou de frêne) avaient les faveurs des amateurs du jeu libre, sans autre règle que celle consistant à se déplacer d’un pas pour pointer et de trois pas pour tirer. Les parties se disputaient en quinze points, par équipes de deux, trois ou quatre joueurs. Pour la fête patronale de Saint-Pancrace, il était coutume d’organiser un concours de boules, le premier prix était une écharpe, puis, après la deuxième guerre, une somme d’argent.

Le mariage.

Pendant fort longtemps la grande majorité des mariages se concluait entre jeunes gens de la commune, souvent du même hameau ; les Bastidons allaient aussi volontiers prendre femme à Ancelle. Le mariage était quelques fois combiné par un « Chamaroun » qui recevait un chapeau en guise de reconnaissance. Quelques temps avant la cérémonie, les promis allaient à Gap acquérir les toilettes nécessaires et le trousseau. Beaucoup rédigeaient un contrat de mariage, on disait : « ils vont écrire ». Le régime matrimonial choisit était, le plus souvent, celui de la communauté réduite aux acquêts.
Le jour du mariage, avant que n’apparaisse l’automobile, le cortège nuptial défilait dans la rue principale du chef lieu. Si les mariés habitaient le bourg, le cortège faisait toujours après le passage à la mairie et à l’église, le tour du pays précédé d’un violoneux ou mieux encore d’un accordéoniste, la jeunesse criant de joyeux « fou, fou, fou » ! et chantant :

« Ah ! Je la tiens, je la tiens, je la tiens
Celle que j’aime
Que mon cœur aime
Ah ! Je la tiens, je la tiens, je la tiens
Celle que mon cœur aime bien. »

Le Maire était régulièrement convié au repas de famille.
Le repas était copieux, la tête de veau y tenait une place essentielle. Il était copieusement arrosé de vins de Valserres ou de Remollon. On en devine l’animation. Au dessert, le garçon d’honneur disparaissait sous la table et coupait la jarretière de la mariée dont il distribuait les morceaux à sa guise en titre de porte-bonheur. Piano mécanique ou accordéoniste faisaient danser toute la nuit et chacun de guetter le départ des jeunes époux. Si le lieu de leur retraite était découvert, on leur apportait au matin du vin chaud.
La famille des mariés devait offrir à boire ou distribuer une certaine somme d’argent à tous les jeunes du pays, faute de quoi elle courrait le risque de voir disparaître des volailles de son poulailler.
D’une façon générale on ne se mariait pas en Novembre, mois consacré au culte des morts, ni en Mai, mois de Marie, cela aurait porté malheur. Peu de personnes y dérogeaient. D’après les registres de l’État civil entre 1900 et 1940, sur 94 mariages célébrés dans la commune, huit seulement l’ont été en Mai.

La mort.

Dès que le trépassé a rendu l’âme on fait sonner le glas, trois fois par jour jusqu’à l’inhumation ; trois coups pour une femme, quatre pour un homme, deux pour un adolescent et un pour un enfant. La cloche de Saint-Pancrace ne sonne qu’au moment de l’inhumation, dès que le convoi est en vue. Un corbillard est affecté au transport des défunts. La levée de corps est faite par le prêtre ; pour les hameaux de l’ouest, à l’entrée du village ou aux abords de l’église ; pour les hameaux de l’est ; à la porte du cimetière, de telle sorte que dans les deux cas, le prêtre ne se rend pas au domicile du défunt.

Le cimetière étant éloigné du bourg d’environ un kilomètre et demi, le convoi marque un temps d’arrêt à la bifurcation de la route nationale et du chemin conduisant à Saint-Pancrace, au pied de la croix de pierre élevée à la mémoire de Monsieur MEISSONNIER, ancien notaire. On y récite un « de profondis », puis le cortège se disloque et ne suivent le cercueil que ceux qui désirent assister à l’inhumation ; les femmes en tête de la procession, sur deux files, tenant un cierge à la main, suivies du prêtre et des clergeons, du corbillard, et derrière, sans ordre, de l’élément masculin. Une neuvaine de messes est dite dans un délai aussi rapproché que possible. Une messe est chantée « au bout de l’an » et à chaque anniversaire du décès. Le deuil est rigoureusement respecté à peine d’être montré du doigt.

Le défunt laisse généralement la quotité disponible de ses biens à celui de ses enfants qui continue l’exploitation du domaine. Bien souvent il a fait de son vivant, un partage anticipé de son patrimoine entre ses enfants. Les contestations entre héritiers sont rares à la Bâtie-Neuve, le sentiment familial est très longtemps demeuré vivace dans le terroir rural.


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